Alors, ce canon, comment s’est-il formé ? Attention, je veux des preuves !

par Juil 17, 2022Apologia Doctrine, Bible0 commentaires

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Les textes apostoliques

Comme nous l’avons dit, les disciples de Jésus, appelés apôtres, ont commencé à rédiger des lettres ainsi que des récits du ministère de Jésus pour diverses raisons : encourager les églises persécutées, édifier et instruire les croyants, corriger des dérives théologiques, défendre leur enseignement devant des tribunaux, laisser une trace écrite de leur témoignage. Ils ont certainement aussi gardé des copies de leurs notes prises lors des prédications de Jésus. C’est ce qu’on trouve dans le corpus du Nouveau Testament.

Étant donné l’essence de la prédication des apôtres, à savoir que le Dieu créateur des cieux et de la terre était devenu homme pour racheter les péchés des hommes à la croix, la compréhension de l’importance de la transmission de ces textes ne peut pas être minimisée. Les églises ont vite reconnu ces textes comme étant revêtus d’autorité divine car ils connaissaient les personnes dont venaient ces textes : “Paul nous a écrit une lettre ! Matthieu a rédigé un récit de l’enseignement du Seigneur Jésus !” Ils les chérissaient et développaient leur compréhension des Écritures Hébraïques à travers ces enseignements-là. Dans 2 Pierre, on lit que la communauté chrétienne à laquelle l’apôtre Pierre écrit est au courant de plusieurs lettres de Paul, et non seulement cela, mais que Pierre considère ces textes comme des Écritures (graphê) : 

Croyez que la patience de notre Seigneur est votre salut, comme notre bien-aimé frère Paul vous l’a aussi écrit, selon la sagesse qui lui a été donnée. 16 C’est ce qu’il fait dans toutes les lettres, où il parle de ces choses, dans lesquelles il y a des points difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens, comme celui des autres Ecritures, pour leur propre ruine. (2 Pierre 3.15-16)

Paul lui-même cite l’évangile de Luc en lui attribuant un statut d’Écriture sainte, à côté de Deutéronome, un des livres de la Torah ! 

Car l’Ecriture dit: Tu ne muselleras point le bœuf quand il foule le grain [Deutéronome 25.4]. Et l’ouvrier mérite son salaire [Luc 10.7]. 19 Ne reçois point d’accusation contre un ancien, si ce n’est sur la déposition de deux ou de trois témoins [Deutéronome 19.15]. (1 Timothée 5.18-19)

Ces exemples montrent que les textes apostoliques étaient déjà mis sur le même plan que les anciennes Écritures des Juifs.

Après la mort des apôtres

On voit déjà à la fin du Ier siècle un responsable de l’église de Rome qui écrit une lettre aux croyants à Corinthe, en parlant de la première épître de Paul aux Corinthiens : 

Reprenez l’épître du bienheureux Paul apôtre. Que vous a-t-il écrit tout d’abord dans les commencements de l’Évangile ? En vérité, c’est sous l’inspiration de l’Esprit qu’il vous a écrit une lettre touchant Céphas, Apollos et lui-même parce que dès lors vous formiez des cabales.” (1 Clément 47.1-3) 

Cette lettre, datant environ de l’an 95, parle de Paul et fait référence aux premiers chapitres de 1 Corinthiens, qui exhorte les fidèles à l’unité. Clément révèle que les lettres de Paul étaient déjà connues en dehors des communautés auxquelles elles avaient été écrites et qu’elles étaient considérées comme écrites “sous l’inspiration de l’Esprit”, faisant office d’autorité dans l’église même 40 ans après qu’elles aient étaient écrites. L’épître de Clément parle également de « l’Évangile », transmis par les apôtres de Christ (1 Clément 42). 

Au début du IIè siècle, nous voyons le souci de collectionner les écrits des apôtres dans les textes chrétiens qui citent les évangiles et les épîtres de Paul à une haute fréquence. Non seulement ça, mais nous voyons des références aux textes apostoliques qui les traitent comme des Écritures sacrées. C’est le cas du Didache (“Comme le Seigneur l’a ordonné dans Son Évangile, priez ainsi” 8.2), d’Ignace d’Antioche (qui fait référence à Matthieu, Luc et plusieurs lettres de Paul), de Polycarpe de Smyrne (“Comme il est dit dans ces Écritures: ‘Mettez-vous en colère et ne péchez pas’, et que le soleil ne se couche pas sur votre colère” Phil. 12.1, citation d’Éphésiens 4 qui reprend le Psaume 4), de l’Épître de Barnabas (qui utilise l’expression “Il est écrit”, précédant une citation de Matthieu 22.14, démontrant une volonté de mettre l’évangile sur le même plan que l’Ancien Testament et ainsi affirmer l’autorité divine du texte), Justin Martyr (qui mentionne la lecture de ces évangiles en public, avec les textes des prophètes, dans sa première apologie, ch.67) et finalement Papias, figure très importante sur laquelle nous nous penchons maintenant. (voir Kruger, Canon Revisited, p.211-224) 

Papias d’Hiérapolis est important parce qu’il nous parle de qui a écrit certains des évangiles, il écrit au début du deuxième siècle (env. 110 ap.J.-C.), en parlant de ce qui est arrivé auparavant, c’est-à-dire les années 80 ap.J.-C. (Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses, p.14), et parle de l’importance du témoignage oculaire, qu’il a voulu entendre directement pour autant qu’il en ait eu l’occasion (Eusèbe, H.E., 3, 39, 3-4). Il nous dit clairement qui a écrit Matthieu et Marc. Eusèbe rapporte ceci de Papias:

« Et voici ce que disait le presbytre [potentiellement Jean l’apôtre lui-même] : Marc qui était l’interprète de Pierre a écrit avec exactitude, mais pourtant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. Car il n’avait pas entendu ni accompagné le Seigneur ; mais plus tard, comme je l’ai dit, il a accompagné Pierre. Celui-ci donnait ses enseignements selon les besoins, mais sans faire une synthèse des paroles du Seigneur. De la sorte, Marc n’a pas commis d’erreur en écrivant comme il se souvenait. Il n’a eu, en effet, qu’un seul dessein, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu et de ne tromper en rien dans ce qu’il rapportait ».

Sur Matthieu, Papias dit ceci : « Matthieu réunit donc en langue hébraïque les logia (de Jésus) et chacun les interpréta comme il en était capable ». (Eusèbe, H.E. 3, 39, 15-16)

Nous comprenons à partir de ces données que l’Église primitive reconnaît très tôt un corpus central des textes d’origine apostolique, inspirés par le Saint Esprit, revêtus d’autorité car écrits par ceux qui ont connu le Seigneur Jésus-Christ ou rédigés par des proches de ceux-ci qui ont rapporté leur enseignement. Quand on apprend ceci, on voit que l’argument selon lequel les évangiles sont des textes qui se seraient formés tardivement à partir d’une mémoire collective d’une communauté qui aurait adapté les histoires et les enseignements de Jésus pour servir leurs fins tombe à plat. Les textes du Nouveau Testament sont bel et bien écrits par des témoins oculaires de Jésus (Matthieu et Jean) et des compagnons de ses premiers disciples (Marc et Luc).

Irénée de Lyon dit, dans la deuxième moitié du IIème siècle: “Il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d’Évangiles. En effet, puisqu’il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d’autre part, l’Église est répandue sur toute la terre et qu’elle a pour colonne et pour soutien l’Évangile et l’Esprit de vie, il est naturel qu’elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l’incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D’où il appert que le Verbe, Artisan de l’univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses, lorsqu’il s’est manifesté aux hommes, nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit.” (Contre les hérésies, Livre III, chapitre 11, verset 8)

Cette citation, peut-être d’une logique qui nous semble étrange, montre une présupposition : il n’y a que quatres évangiles. Irénée suit un raisonnement théologique en faisant le lien avec les quatre points cardinaux, étant donné que le chiffre quatre représente la création toute entière, et tous les peuples (comme nous le voyons plusieurs fois dans la Bible, AT et NT), à qui les quatre évangiles sont destinés.

Irénée nous donne non seulement le chiffre 4, mais il nous donne des détails précis sur les auteurs, la date de ces textes et les contextes dans lesquels ils furent écrits!

 

« Matthieu d’abord, qui prêchait aux Juifs dans leur propre langue, édita une version écrite de son Évangile, dans les années où Pierre et Paul annonçaient l’Évangile à Rome et fondaient l’Église. Après leur mort, Marc, disciple et interprète de Pierre, nous transmit aussi par écrit la prédication de Pierre. Quant à Luc, le compagnon de Paul, il consigna aussi dans un livre l’Évangile que celui-ci prêchait. Jean enfin, le disciple du Seigneur, celui également qui a reposé sur sa poitrine, a lui aussi donné l’évangile, à l’époque où il séjournait à Éphèse en Asie » (Contre les hérésies, III.1.1)

Tous ces auteurs montrent une connaissance non seulement des Évangiles, mais également d’autres lettres. Michael Kruger, dans son livre Canon Revisited écrit: “Irénée cite amplement les livres du Nouveau Testament, même plus que l’Ancien Testament, et les considère à l’évidence comme des “Écritures”. Ces textes incluent les quatre Évangiles, Actes, l’ensemble du corpus paulinien (moins Philémon), Hébreux, Jacques, 1 Pierre, 1 et 2 Jean et l’Apocalypse ; plus de mille passages du Nouveau Testament au total.” (p.228)

Une liste canonique ancienne ?

Le fragment de Muratori, trouvé dans la bibliothèque ambrosienne de Milan au XVIIIème siècle, est une copie d’un document qui pourrait très bien remonter à la deuxième moitié du IIème siècle (le manuscrit lui-même datant du VIIème ou VIIIème siècle), qui donne une liste canonique. Dedans, on y trouve 22 des 27 livres du Nouveau Testament (tenez compte qu’il s’agit d’un fragment de texte, et il pourrait y en avoir plus), avec certains livres sur lesquels il y avait débat. (Kruger, pp.230-31). Néanmoins, il révèle un détail important sur la réflexion canonique. Il rejette le Pasteur d’Hermas tout en le considérant comme digne d’être lu, en citant son origine et sa datation: 

“Quant au Pasteur, Hermas l’a écrit très récemment, de notre temps, dans la ville, quand siégeait sur le trône de la ville de Rome l’évêque Pie son frère. Et c’est pourquoi on doit certes le lire, mais on ne peut pas le présenter publiquement au peuple dans l’Eglise, ni parmi les prophètes dont le nombre est complet, ni parmi les apôtres (qui sont) dans la fin des temps.”

L’auteur du fragment connaissait l’auteur du Pasteur, disant qu’il s’agissait du frère du responsable de l’église de Rome, Pie, qui tenait ce rôle en plein milieu du IIème siècle. Il dit donc qu’il ne peut pas avoir le statut d’autorité des textes apostoliques car il n’appartient pas à la même catégorie. La liste canonique la plus ancienne nous présente donc les critères d’authenticité: ils doivent provenir de l’autorité apostolique, des temps des apôtres, en plus d’être orthodoxes. Il y a déjà le souci de reconnaître quels sont les textes inspirés, des siècles avant la « fermeture » officielle du canon qu’on cherche à nous faire croire.

Les données fournies ci-dessus nous montrent que pratiquement touts les textes plus longs du NT, qui posent les fondements de la doctrine chrétienne, sont déjà considérés comme canonique par les premiers témoins historiques que nous avons. Le Nouveau Testament existe déjà, même si ses contours ne sont pas entièrement définis, et est utilisé en tant que tel au IIème siècle.

Que nous montrent les manuscrits ?

Finalement, les manuscrits anciens nous apprennent des choses importantes. Le processus du copiage des textes néotestamentaires avait déjà bel et bien commencé au deuxième siècle; comme nous l’avons indiqué dans un article précédent, il existe 124 manuscrits néotestamentaires aujourd’hui datant des trois premiers siècles de l’église, dont plus de 60 datés à la période IIème-IIIème siècle (Kruger, p.234). Le fait qu’il y en ait autant de cette période est réellement spectaculaire et certainement l’indication qu’il en existait bien plus, car le christianisme était dès son début une religion très attachée aux textes. Non seulement cela, mais déjà au deuxième siècle, nous trouvons, dans le Papyrus 66, une copie très ancienne de Jean, l’inscription nominative “l’évangile selon Jean”, montrant une connaissance de la source du texte, mais également de l’idée qu’il n’y a qu’un seul évangile, qui est raconté “selon” (kata) diverses personnes.

Mais un élément supplémentaire qui montre la formation d’un canon déjà au deuxième siècle se trouve dans l’existence de manuscrits qui rassemblent plusieurs textes en un seul livre, ou codex. Michael Kruger, professeur du Nouveau Testament et du christianisme primitif au Séminaire Réformé de Charlotte aux États-Unis, parle du fait que les chrétiens ont adopté le format codex (ancêtre du livre) avant tout le reste de l’Antiquité, qui utilisait encore les rouleaux, au point où certains historiens ont commencé à croire que le livre était une invention chrétienne. La question du pourquoi est intéressante. Il soutient, à la suite d’autres académiques, que cela permettait aux chrétiens de transporter des collections de textes néotestamentaires reliés ensembles. 

Nous savons déjà que les Pères de l’Église connaissaient les quatre évangiles et les citaient, et de même pour les lettres de Paul, mais avec ces codex, nous avons des preuves physiques de leur reliure ! C’est le cas pour les Évangiles, avec des papyrus comme P75 qui contient des portions de Luc et de Jean et P45, “daté env. 250, qui contient tous les quatre Évangiles canoniques […], qui sont suivis du livre des Actes.” (Kruger, p.240) Pour Paul, il existe également des preuves similaires, avec le Papyrus 46, qui contient 8 des lettres de Paul ainsi qu’Hébreux, qui est placée droit derrière Romains (Kruger, p.242). 

Malgré les difficultés et les persécutions que les chrétiens subissaient au deuxième siècle, ils étaient déjà en train d’utiliser des technologies avancées afin de réunir leurs textes importants !

Kruger dénonce encore l’idée que les “évangiles apocryphes” auraient eu par le passé la même valeur que ceux canoniques avec ce fait: “Nous n’avons pas un seul exemple où un évangile apocryphe est relié aux Évangiles canoniques au sein d’un seul manuscrit.” (p.242)

Conclusion

Nous voyons donc à travers les preuves manuscrites et les déclarations des Pères anciens, ainsi que du fragment de Muratori, que le canon s’est formé très tôt et qu’au IIème siècle il existait déjà un noyau dur canonique, qui même sans être complet, contenait déjà les documents les plus souvent utilisés aujourd’hui dans les églises. Cette liste, ainsi que celle des livres sur lesquels il y avait débat, nous sont d’ailleurs données sans ambage par Eusèbe de Césarée au début du quatrième siècle : les quatres Évangiles, Actes, les lettres de Paul, Hébreux, 1 Jean, 1 Pierre et l’Apocalypse. Les livres sur lesquels il y avait encore quelques désaccords étaient Jacques, Jude, 2 Pierre ainsi que 2 et 3 Jean (Kruger, p.266-67). Mais avant même de parler des livres hérétiques, dont le contenu était considéré aberrant, il y avait des livres appréciés mais néanmoins rejetés, car non apostoliques: Le Pasteur d’Hermas et L’épître de Barnabas. Nous pourrions encore continuer en parlant d’autres sources, mais cet article est suffisamment long. Dans le prochain article de cette série, nous montrerons que les Écritures elles-mêmes attendaient d’être complétées et que les textes chrétiens se voyaient comme l’accomplissement de cette attente.