Qu’est-ce que l’apologétique ?
Introduction
Nous sommes un collectif d’apologétique, une discipline peu connue dans le paysage chrétien francophone. Mais que signifie donc ce terme ?
Le terme apologétique a une origine juridique. Il vient du grec apologia, qui désignait la défense d’un accusé devant un tribunal. Lorsqu’un accusé présentait son droit de réponse aux accusations portées contre lui, il le faisait par une apologie, cherchant à éliminer les accusations par ses paroles.
Dans l’histoire, l’Apologie de Socrate, prononcée en 399 av. J.-C., en est un exemple marquant. Platon y relate la défense de Socrate lors de son procès, qui se conclura par sa condamnation à mort.
Le terme apologétique a ensuite pris un sens plus large, désignant un « discours ordonné, sensé, raisonné, visant à justifier une position » [1]. Platon, disciple de Socrate, a ainsi écrit son Apologie de Socrate pour défendre la pensée de son maître. De même, l’historien Flavius Josèphe a rédigé Contre Apion pour défendre la foi juive [2].
Une origine scripturaire
Dans le Nouveau Testament, le livre des Actes montre comment Paul effectue un plaidoyer devant le gouverneur Félix (Actes 24.10), le gouverneur Festus (Actes 25.8), et le roi Agrippa (Actes 26.2). Par ailleurs, dans son épître, l’apôtre Pierre exhorte les chrétiens à être toujours prêts à défendre leur espérance à quiconque en demande raison (1 Pierre 3.15).
L’apologétique chrétienne consiste donc à défendre intellectuellement les vérités de la foi chrétienne [3]. Son but est de montrer la crédibilité, la cohérence, la véracité et la pertinence de la foi chrétienne face aux critiques et aux accusations.
L’apologétique est présente dans la Bible, mais c’est surtout au cours de l’histoire de l’Église que les chrétiens ont développé de nombreux discours apologétiques :
- Au 2e siècle, les Pères apologistes, comme Justin Martyr et Tertullien, défendaient la supériorité morale du christianisme par rapport aux religions païennes. Irénée de Lyon, quant à lui, écrivit une apologie pour réfuter les thèses gnostiques.
- Au Moyen Âge, des apologistes répondaient aux questions sur la foi chrétienne face à d’autres religions. Jean Damascène, par exemple, critiqua le Coran dans ses écrits.
- Au 13e siècle, Thomas d’Aquin proposa une défense rationnelle de la foi, inspirée des théories aristotéliciennes, pour démontrer l’existence de Dieu.
Bien que l’apologétique ait une approche intellectuelle, elle ne se confond pas avec la philosophie. Elle fait appel à des disciplines académiques (histoire, sociologie, psychologie, etc.) pour répondre de manière pédagogique aux interrogations sur la foi.
Deux types d’apologétiques
L’apologétique se divise en deux types : l’apologétique offensive (ou positive) et l’apologétique défensive (ou négative). Ces deux approches peuvent être combinées.
Apologétique offensive :
L’apologétique offensive propose des arguments en faveur des affirmations chrétiennes. William Lane Craig, dans Reasonable Faith (p.23-25), divise cette approche en deux catégories :
- La théologie naturelle présentant des arguments et des preuves pour le théisme, indépendamment de la révélation divine. Ces arguments incluent les preuves ontologiques, cosmologiques, téléologiques et morales de l’existence de Dieu.
- Les preuves chrétiennes démontrant pourquoi le christianisme est vrai. Parmi ces preuves, on retrouve la réalisation des prophéties, les affirmations de Jésus sur lui-même et la fiabilité historique des Évangiles, etc.
Apologétique défensive :
L’apologétique défensive vise à répondre aux objections faites aux affirmations chrétiennes. Elle se décompose de manière similaire :
- Concernant la théologie naturelle, l’apologétique défensive s’attaque aux objections théistes, comme la question de l’incohérence supposée du concept de Dieu ou le problème du mal.
- Pour les preuves chrétiennes, elle réfute les objections au théisme biblique, notamment les critiques de l’analyse biblique moderne et de la science contemporaine.
Mais attention ! Comme le rappellent A. Nisus et L. Jaeger :
Ne nous méprenons pas : même si nous employons des vocables comme « attaque » et « défense », l’apologétique n’a rien d’une démarche violente ou agressive. Au contraire, elle vise l’adhésion libre de l’incroyant. Elle cherche à convaincre et non à vaincre. En même temps, elle refuse de verser dans l’indifférence douillette qui laisserait chacun poursuivre sa route sans poser la question de la vérité des convictions qui l’animent [4].
L’apologétique est donc avant tout une démarche pacifique visant la pleine conviction. Très bien ! Mais, vous me direz : en quoi cela est-il utile ? Pourquoi Dieu aurait-il besoin d’être défendu par des êtres humains ? Et pourquoi chercher à convaincre autrui ? Le témoignage de vie n’est-il pas suffisant ? Après tout, n’est-ce pas le Saint-Esprit qui touche les cœurs ?
À cela, nous répondons d’abord que l’Écriture enseigne que les chrétiens sont des témoins du Christ ; par conséquent, le Saint-Esprit agit à travers leurs paroles pour convaincre les cœurs :
- Dans Actes 17.2-4, on apprend que Paul discutait avec les Juifs dans la synagogue « à partir des Écritures » et qu’il « expliquait et démontrait » que le Messie devait souffrir et ressusciter. Résultat : « quelques-uns d’entre eux furent convaincus ».
- De même, dans Actes 19.8, Luc précise que Paul « s’éfforçait de persuader ceux qui l’écoutaient ».
- Enfin, dans Actes 28.23, Paul tient une longue discussion avec les Juifs, depuis le matin jusqu’au soir, cherchant à les « persuader » en s’appuyant sur la loi de Moïse et les prophètes.
Comme le dit Greg Koukl :
En termes simples, vous pouvez faire entrer quelqu’un dans le royaume en argumentant. Cela arrive tout le temps. Mais lorsque les arguments sont efficaces, ils ne fonctionnent pas dans le vide [5].
Le chrétien doit témoigner de Jésus par toute sa vie, et pas seulement par ses paroles. Il est vrai que les actions parlent souvent mieux que les mots, mais défendre la foi de manière « intellectuelle » n’est pas à négliger !
Utilité et pertinence de l’apologétique
Tôt ou tard, le chrétien se retrouvera face à des personnes qui ne partagent pas sa foi. Certains nient catégoriquement l’existence de Dieu, d’autres se disent agnostiques, certains n’y prêtent que peu d’attention, d’autres encore se moquent de la foi chrétienne, voire la combattent : les exemples pourraient être multipliés.
Aujourd’hui, le christianisme apparaît comme une religion parmi d’autres, au sein du « supermarché » religieux accessible à tous. Nous vivons dans une société postmoderne et sécularisée, imprégnée de relativisme, de pluralisme et de naturalisme :
- Pour le relativisme, il n’existe pas de vérité absolue.
- Dans le pluralisme, tous les points de vue et toutes les opinions se valent. Dans cette logique, on peut dire « tous les chemins mènent à Rome ».
- Le naturalisme, quant à lui, soutient qu’il n’y a pas de vérité surnaturelle. Dieu en est exclu : on pourrait dire que le naturalisme est une vision athée.
Face au pluralisme, le christianisme revendique un message exclusif ; face au relativisme, il prétend détenir la vérité absolue ; et face au naturalisme, il présente une vision spirituelle et surnaturelle. Ainsi, un véritable « défi apologétique » s’impose dans cette culture ambiante, alors que les chrétiens cherchent à démontrer que le « vrai Dieu » est celui qu’ils confessent.
L’Église a donc besoin de l’apologétique, non seulement pour répondre à ce défi culturel, mais aussi pour affermir les croyants. L’apologétique est également un outil d’évangélisation, destiné à offrir des réponses véritables à nos contemporains.
Différentes écoles
Plusieurs penseurs chrétiens ont réfléchi aux moyens de démontrer la validité de la foi chrétienne. Il existe quatre grandes écoles apologétiques, que nous aborderons brièvement sans entrer dans les détails, car chacune mériterait un article à part entière :
Apologétique classique
Cette approche accorde une place centrale à la raison. Selon cette école, la raison conduit à Dieu, et ce sont les différents aspects de notre monde et de l’existence qui témoignent de l’existence divine. Malgré les influences culturelles qui façonnent chaque individu, la raison permet à chacun de percevoir la révélation de Dieu à travers la nature et la conscience humaine. Les penseurs majeurs de cette école incluent Anselme de Cantorbéry, Thomas d’Aquin et C.S. Lewis.
Apologétique empiriste
Ici, c’est l’expérience objective et les faits observables qui prédominent. En examinant les observations cumulées, on peut établir la probabilité que le christianisme soit vrai. Parmi les figures importantes de cette école, on trouve Joseph Butler et William Paley.
Apologétique de la subjectivité comblée
Cette école soutient plutôt que Dieu ne se prouve pas, mais se rencontre. L’expérience personnelle, subjective, est donc primordiale. Blaise Pascal est l’un des principaux penseurs associés à cette approche.
Apologétique présuppositionnaliste
Basée sur la révélation biblique, cette école « présuppose » que la dimension religieuse est inhérente à toute démarche de connaissance. Les grands penseurs de cette approche sont Abraham Kuyper, Cornelius Van Til et Francis Schaeffer.
Conclusion
En conclusion, on peut dire que l’apologétique trouve ses racines et sa légitimité dans les Écritures. Au fil de l’histoire, les chrétiens ont utilisé et développé cette méthode à travers différentes approches pour attester de la véracité de leur foi. Le croyant peut ainsi s’adonner à l’apologétique avec assurance, tout en agissant « avec douceur et respect » (1 Pierre 3.15).
Références
[1] Henri Blocher, La foi et la raison: apologétique chrétienne, Charols : Vaux-sur-Seine, France, Excelsis ; Édifac, 2015, p. 6.
[2] Lydia Jaeger, Alain Nisus, Une foi, des arguments: apologétique pour tous, Romanel-sur-Lausanne (Suisse), la Maison de la Bible, 2021, p. 11.
[3] « Apologetics | Definition, History, Christianity, Key Figures, & Facts | Britannica », URL : https://www.britannica.com/topic/apologetics. Consulté le 29 octobre 2024.
[4] Lydia Jaeger, Alain Nisus, Une foi, des arguments, p. 18.
[5] Gregory Koukl, Tactics: a game plan for discussing your Christian convictions, 10th anniversary edition. Grand Rapids, Michigan, Zondervan Reflective, 2019, p. 20.