La Bible encourage-t-elle l’esclavage ?

par Avr 25, 2025Bible, Débat0 commentaires

Introduction

Très souvent, dans le dialogue avec les personnes « afrocentristes » sur le christianisme, la question de l’esclavage dans la Bible revient. Ces dernières accusent les Écritures de prôner et d’encourager l’esclavage et par conséquent, l’assujettissement des Noirs.

Il est vrai que, d’un point de vue historique, certaines personnes se sont servies de la Bible pour justifier la traite négrière, notamment par la soi-disant « malédiction de Cham » qui est une véritable fraude théologique.

Note : Nous avons réalisé une vidéo à ce sujet sur notre chaîne YouTube intitulée “Les Noirs sont-ils maudits par Dieu ?” (lien).

Cependant, bien que certaines personnes aient utilisé la Bible à des fins pernicieuses, il convient de se demander si, d’un point de vue théologique, les écrits bibliques prônent réellement l’esclavage. Dans cet article, mon objectif est de montrer que l’« esclavage » mentionné dans l’Ancien Testament, n’a rien à voir avec la traite négrière et qu’il s’agit d’un véritable anachronisme.

Contexte du Proche-Orient Ancien (POA)

L’esclavage était une caractéristique courante du Proche-Orient Ancien (POA). La forme de servitude la plus répandue était le travail forcé ou le métayage. Les esclaves pouvaient améliorer leur condition sociale. Avec l’accord de leurs maîtres, ils avaient la possibilité de posséder des biens, d’exercer une activité économique, d’embaucher des personnes libres et même d’épouser des individus libres. De manière générale, tous les sujets du souverain, quel que soit leur rang, étaient considérés comme ses esclaves ou ses serviteurs [1].

Prenons l’exemple de l’Égypte antique, une civilisation souvent citée par nos amis afrocentristes. En Égypte, le pharaon possédait toutes les terres, et les Égyptiens le servaient en tant que propriétaire [2]. Par ailleurs, dès le IIIe millénaire avant notre ère, l’Égypte pharaonique se procurait des esclaves en Nubie [3].

Les causes de l’esclavage dans le POA étaient multiples :

  • La guerre: des royaumes antiques comme l’Égypte ou la Mésopotamie réduisaient en esclavage certains prisonniers de guerre.
  • L’endettement : les personnes incapables de rembourser leurs dettes se vendaient elles-mêmes comme esclaves à leur créancier pour s’acquitter de ce qu’elles devaient (exemple : Code d’Hammourabi §117).
  • La survie: certaines personnes se vendaient comme esclaves pour obtenir de la nourriture et des vêtements.
  • Sanction pénale : ceux qui transgressaient la loi sans pouvoir s’acquitter de leur peine financière devaient la purger en servant comme esclaves la victime ou la famille de la victime.

L’esclavage dans l’Ancien Testament

Notons d’emblée que l’esclavage n’appartient pas à l’ordre créationnel. Il ne fait pas partie de l’intention originelle du Créateur et de sa « bonne » création (cf. Genèse 1-2). L’esclavage relève de la réalité d’un monde déchu.

De plus, « l’hébreu n’a pas de vocabulaire pour l’esclavage [slavery], mais uniquement pour la domesticité [servanthood] » [4]. Les termes hébreux désignant les « esclaves », qu’ils soient masculins (ʿebed) ou féminins (ʾāmâ), sont utilisés aussi bien pour les « esclaves » hébreux que pour les non-hébreux. Ces mots reflètent un contexte culturel et une manière de penser différente de la nôtre au XXIe siècle et revêtent un large éventail de significations dans le Pentateuque.

Le terme ʿebed sert à désigner :

  • Les serviteurs de Dieu (Exode 32.13),
  • Les sujets ou fonctionnaires d’un dirigeant (Genèse 21.25 ; 40.20),
  • Une personne s’exprimant avec humilité devant autrui (Genèse 33.5),
  • Ou encore quelqu’un s’adressant à Dieu (Exode 4.10).

Ainsi, comme le souligne J. Goldingay, « l’hébreu n’a pas besoin de terme pour désigner l’esclave puisqu’il n’en connaît pas » [5] !

Il est vrai que plusieurs caractéristiques de l’esclavage du POA se retrouvent dans le Pentateuque. Par exemple, les « esclaves » sont généralement des étrangers, notamment des prisonniers de guerre. La loi lévitique précise que les Hébreux ne peuvent avoir pour « esclaves » que des individus issus des nations environnantes ou des résidents étrangers (Lévitique 25.44-45). Ces derniers pouvaient être conservés à vie et transmis en héritage (Lévitique 25.46).

Autre point commun avec le POA : les « esclaves » pouvaient se voir confier d’importantes responsabilités par leurs maîtres, supervisant leurs richesses et leurs affaires. C’est le cas de Joseph dans la maison de Potiphar (Genèse 39) ou encore d’Éliézer, le serviteur d’Abraham (Genèse 15.2 ; 24.2).

Cependant, dans le Pentateuque, l’identité des Hébreux est constamment définie par leur libération de l’esclavage afin de servir Dieu. Cela contraste avec de nombreuses nations du POA où le peuple était considéré comme sujet de son roi, dont le pouvoir reposait sur une légitimation mythologique ou politique [6].

Les Israélites eux-mêmes pouvaient tomber en esclavage en se vendant pour rembourser une dette ou en raison d’une extrême pauvreté [7]. Toutefois, les Hébreux qui se vendaient à leurs compatriotes devaient être considérés comme des salariés (Lévitique 25.39). Ils étaient libérés après six ans de service (Exode 21.2) et ne devaient pas être renvoyés sans avoir reçu les ressources nécessaires pour continuer à vivre. En raison des conditions de vie difficiles, certains préféraient rester au service de leur maître à vie (Exode 21.5-6 ; Deutéronome 15.16-18).

Le traitement des « esclaves » en Israël

Le traitement des « esclaves » en Israël montre qu’ils étaient considérés comme des êtres humains, et non comme des biens meubles (cf. Code Noir, 1685, article 44). Voici quelques points notables à cet égard :

  • La capture d’êtres humains pour les vendre ou les garder en esclavage était strictement interdite sous peine de mort (Exode 21.16 ; Deutéronome 24.7). L’importance d’une telle interdiction sera reprise par le Nouveau Testament.
  • Celui qui tuait son « esclave » en le frappant devait être puni (Exode 21.20). De plus, si un maître faisait perdre un œil ou une dent à son esclave en le frappant, ce dernier devait être libéré en compensation (Exode 21.26). Alain Nisus souligne que ces détails traduisent un véritable souci pour la personne et non simplement d’une « mesure visant l’incapacité de travail » [8]. Ainsi, en raison de la dignité personnelle de l’esclave, ces prescriptions sont destinées à limiter les abus.
  • Les « esclaves » étrangers pouvaient participer aux fêtes israélites (Deutéronome 16.11) et avaient droit au repos sabbatique (Exode 20.10).
  • Contrairement aux lois des autres nations du POA, un esclave en fuite trouvant refuge en Israël ne devait pas être renvoyé à son maître. Il devait être libre de s’installer où il le souhaitait et ne pouvait être opprimé (Deutéronome 23.15-17). Ce droit d’asile était révolutionnaire ! Ailleurs au POA, un esclave fugitif était puni et ceux qui l’aidaient risquaient des sanctions [9].

Par conséquent, qu’il soit hébreu ou étranger, le statut de « l’esclave » dans l’Ancien Testament se distingue des lois des nations du POA, et plus encore de la traite négrière.

Dans l’Ancien Testament, l’esclavage n’est pas basé sur la race ou la couleur de peau, contrairement à la traite négrière. Au sein d’Israël, « [l’ ʿebed] ne peut se distinguer de l’homme libre ni par la race, ni par le vêtement, ni par aucun signe extérieur qui marquerait sa condition – comme c’est alors le cas en Égypte ou à Babylone » [10].

Conclusion

Tous les êtres humains, « esclaves » ou serviteurs, avaient des droits et des privilèges en vertu de la loi et devant Dieu. Les protections prévues par la loi mosaïque à l’égard des « esclaves » (hommes ou femmes, hébreux ou étrangers) ne sont donc en aucun cas comparables à la traite négrière. Ces dispositions offraient un moyen de survie en cas de grande détresse économique et permettaient aux individus d’échapper à la pauvreté et de retrouver une prospérité économique.

Cela contraste totalement avec les pratiques des esclavagistes, où des « esclaves » étaient acquis pour travailler à leurs places, dans une « logique capitaliste » [11]. L’Ancien Testament cherche à « adoucir » la condition des « esclaves » dans un monde marqué par le péché. À ce sujet, Alain Nisus dit ceci :

Le présupposé de base du texte biblique, quand il traite de l’esclavage est : « Souvenez-vous que vous avez été esclaves en Égypte et que Yahvé vous a libérés » (Deutéronome 5.15 ; cf. Exode 1.23 ; 2.23-24). La libération dont les Hébreux ont été l’objet témoigne du fait que l’esclavage n’est pas acceptable aux yeux de Dieu [12].

En somme, assimiler les lois de l’Ancien Testament sur les « esclaves » (ʿebed/ʾāmâ) aux pratiques de la traite négrière constitue un véritable anachronisme. Dans un prochain article, nous nous pencherons sur le Nouveau Testament pour montrer que les versets concernant les « maîtres et esclaves » n’ont, eux aussi, rien à voir avec la traite négrière. Nous verrons ainsi que la Bible, dans son ensemble, ne prône ni ne légitime l’esclavage des Noirs – ni celui d’aucun peuple.

 

Références

[1] “Slave, Slavery”, dans Dictionary of the Old Testament: Pentateuch, T.D. Alexander, D.W. Baker, sous dir., Downers Grove, Ill, InterVarsity Press, 2003.

[2] Joseph Byamukama, « 7 Ways Ancient Slavery Was Different from Modern Slavery », TGC Africa, 9 mars 2023. URL : https://byamukama.com/seven-ways-ancient-slavery-differed-from-modern-slavery/. Consulté le 20 février 2025.

[3] Nathanaël Delforge, Car Dieu a tant aimé les Noirs: Dieu, la Bible et les peuples noirs, Charols, Éditions Excelsis, 2024, p. 89.

[4] J.A. Motyer cité dans, Ibid., p. 102.

[5] J. Goldingay cite dans, Ibid., p. 103.

[6] “Slave, Slavery”, dans Dictionary of the Old Testament.

[7] Lydia Jaeger, Alain Nisus, Une foi, des arguments: apologétique pour tous, Romanel-sur-Lausanne (Suisse), la Maison de la Bible, 2021, p. 546.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Nathanaël Delforge, Car Dieu a tant aimé les Noirs, p. 107.

[11] Ibid., p. 104.

[12] Lydia Jaeger, Alain Nisus, Une foi, des arguments, p. 545.